lundi 14 juin 2021

Sélection du Prix du Livre Inter 2021

 



Réunion du 5 juin 2021
Sélection du Prix Inter 2021

 Réunion du 5 juin 2021

 

 

Compte rendu des lectures et de l’échange du groupe lecteurs.trices de l’Espace-livres de Marthon

 

Au dire de tous les participant.e.s à la réunion ce samedi 5 juin à 14H30, le cru des prix Inter 2021 est d’une qualité exceptionnelle. Tous les livres méritent de trouver leurs lecteurs, même ceux qui nous sont apparus plus « légers », que ce soit dans la forme ou dans le fond. Il est aussi apparu qu’on pouvait faire des ponts d’un livre à l’autre, que certains thèmes dominent comme la question de l’héritage qui relie au moins trois d’entre eux : Héritage, bien-sûr, mais aussi Saturne et Thésée sans compter ceux qui abordent le passé d’une ville sur plusieurs générations comme Là où nous dansions ou celui d’un personnage comme le roman plus énigmatique de Marie N’Diaye : la vengeance m’appartient. Ou encore l’héritage de l’enfant dans Un jour ce sera vide.

 

Ces quelques notes rédigées par divers participant.e.s vous aideront à choisir vos lectures parmi cette diversité. Vous trouverez quelques notes et ajouts, de simples phrases relevées dans le cours de l’échange, en plus du commentaire principal, quand des divergences ou des modulations sont apparues ou tout simplement pour vous rendre une ambiance du lectorat.

 Se plonger ainsi dans une lecture longue, suivie, nourrie de notes de lectures constitue une expérience privilégiée comme l’a souligné le président du jury, Denis Laferrière, sur France Inter. Cet exercice nous conduit forcément à faire des comparaisons d’un livre à l’autre, à chercher des résonances, dans la forme comme dans le fond, à plonger aussi dans divers univers souvent très loin de son quotidien : c’est toujours un bain régénérateur. Aussi nous vous souhaitons d’avoir envie de vous immerger à votre tour dans ces univers si personnels et si universels à la fois, tout ce qui fait l’originalité de la lecture romanesque.

  

HERITAGE de Miguel Bonnefoy

Magnifique épopée empreinte d’imaginaire et de fantastique sur le thème de la migration de nombreux viticulteurs français ruinés par la crise du Phylloxéra à la fin du XIXème siècle, et qui firent souche au Chili.  On y voit une multitude de personnages tous aussi flamboyants les uns que les autres, dans des situations croquées avec un verbe à la fois puissant et émouvant et où le destin s’amuse à brouiller les cartes !

Ce fut le cas de ce jeune homme de Lons le Saulnier embarqué sur un cap-hornier pour la Californie avec pour tout bagage un cep de vigne et 30 francs, et dont le voyage s’arrêta à Valparaiso où son patronyme devint « Lonsonier », par pure incompréhension linguistique ! 

Il y prospéra dans le domaine viticole, et ses trois fils firent le choix de rejoindre la France à la mobilisation de la 1ère guerre mondiale. Le père leur demanda de ne pas manquer d’y rechercher là-bas un mystérieux « oncle Michel René ». C’est dans l’horreur des tranchées que l’aîné, Lazare, se retrouvera seul devant un autre immigré chilien, combattant pour sa patrie d’origine, l’Allemagne !  Ce face à face, qui aurait dû finir dans le sang, aura finalement une conséquence peu banale dans leurs destinées. 

Lazare sera le seul à revenir, ayant survécu par miracle à de terribles blessures, qui l’ont brisé, et il n’a pas trouvé d’oncle Michel René ! C’est lors d’une sorte de voyage initiatique avec des indiens Mapuche qu’il rencontrera Thérèse, une ornithologue passionnée des rapaces avec qui il fonda une famille et se lança dans la fabrication d’hosties ! Il lui construisit une incroyable volière qui fut bientôt pleine d’une foule d’oiseaux. 

Leur petite Margot en développera une passion pour le vol, et elle tentera même de construire son propre avion, avec l’aide d’Ilario, le fils d’un rabbin ashkénaze ayant fui l’Ukraine à la montée du nazisme. En 1940, elle aussi s’engagera en rejoignant l’aviation anglaise avec son ami Ilario, mais elle rentrera seule au Chili. Et là, près de la volière et de l’avion mythique qui n’avait jamais pu voler, un fantôme du passé fera son dernier tour de piste au sein de la famille.

La 4ème génération, avec l’apparition du fils de Margot, Ilario Da, vivra l’époque la plus noire du Chili du régime Pinochet, et fera partie de ces milliers d’opposants incarcérés et torturés, avant d’être enfin exfiltré par-delà les Andes pour rejoindre la France chargé à son tour de retrouver la trace du fameux « oncle René Michel », symbole de la racine familiale.

Jacqueline Howe

Les qualificatifs n’ont pas manqué pour ce roman qui a marqué tou.te.s les lect.eurs.trices : haut en couleurs, merveilleux, épique à certains moments, nourri de personnages très particuliers, souvent héroïques, exaltés, portés par la bravoure et l’humanisme jusque dans les moments les plus tragiques de l’humanité comme ces deux guerres mondiales ou sous la dictature qui aura raison de l’expérience Allende . Si vous aimez les grands romans picaresques, n’hésitez pas, vous ne serez pas déçu.e.

A.V.

 


 La vengeance m’appartient  de Marie N. DIAYE

Ce livre est construit sur un mystère.

Que s’est-il passé il y a une trentaine d’années, alors que le personnage principal avait 10 ans ? Cet évènement enfoui au fond de sa mémoire semble avoir construit Maître Suzanne, passant d’une enfant au caractère joyeux à celle qu’elle est devenue aujourd'hui, introvertie, ne sachant pas exprimer ses sentiments même avec ses proches.

Tout commence avec cet homme qu’elle croit reconnaître ? Est-ce lui cet adolescent qu’elle avait rencontré il y a trente ans ? Quelle a été la nature de leurs relations dans la chambre de celui-ci ? Personne ne peut l’aider à résoudre cette interrogation, ni sa mère, ni son père qui soupçonne l’impensable. 

L’écriture est énigmatique, vertigineuse parfois frôlant la folie.

Mais la vengeance m’appartient !

Sylvie Frédérick Linglet

             Lorsque le 5 janvier 2019 Gilles Principaux entre dans le cabinet de Maître Suzanne, avocate récemment installée à Bordeaux, elle reçoit un choc ! elle avait l'impression très ancrée d'avoir déjà rencontré Gilles Principaux, persuadée de revoir 32 ans plus tard quelqu'un qui l'avait ravie lorsqu'elle avait 10 ans et lui 14 dans la chambre du jeune garçon. Que s'est-il passé dans cette chambre ? Il lui reste un vague souvenir de plaisir. Gilles Principaux vient lui demander d'accepter la défense de sa femme Maryline qui vient de commettre un triple infanticide. En revoyant Principaux elle ressent une certaine souffrance. Est-il l'adolescent qui l'a séduite enfant ? Lentement s'infuse dans l'esprit de Me Suzanne le soupçon de cette ancienne rencontre, sa mère repasseuse l'amenant avec elle. Des évènements apparemment sans importance surviennent dans son quotidien. Elle s'en trouve déstabilisée : sa femme de ménage lui témoigne une certaine hostilité, sa mère ne veut pas l'aider, son père ne veut pas en entendre parler, elle fait une chute.... Rudy son compagnon a une attitude ambigüe à son égard et celui de Lila la fille de son compagnon. L'univers de Maître Suzanne est bouleversé, confus, inquiétant même. Elle essaie de dénouer les raisons qui ont conduit au meurtre des enfants de Maryline. Un doute subsiste sur la filiation de Lila : est-elle sa fille ? A petites touches il semble que l'on s'approche de la vérité.... Où se situe la vérité qui n'est jamais évidente « . Qui est-il donc, ce Principaux aux noms multiples, ce mauvais ange des foyers ? La maison avoue aujourd'hui. Oui Mesdames et Messieurs les jurés, elle avoue, la maison qui collabore aux crimes, elle avoue et dit : j'ai été le suppôt de cet homme-là. Qui est-il donc ? Nous croyons le savoir à présent, nous nous disons cependant : et si je me trompais ? Où se situe la vérité qui n'est jamais évidente ?

Antoinette Bénéteau

 

   Là où nous dansions. de Judith PERRIGNON

Judith Perrignon nous livre l’histoire de Détroit des années 30 à nos jours.

Extrêmement documenté, elle s’appuie sur les souvenirs d’habitants de la ville et la situation actuelle fournie par un lieutenant et d’un enquêteur de police.

Grandeur et décadence de Détroit ! Grandeur avec l’avènement de l’industrie automobile FORD, l’inauguration par Eleanor Roosevelt de Breuster Douglas Projects,  logements sociaux dédiés à la communauté Afro-Américaine, espoirs pour les uns et ghettos pour d’autres. De ces quartiers sont nés de nombreuses stars, comme Stevie Wonder, Diana Ross, Aretha Franklin entre autres.

Puis, décadence de cette ville gangrénée par la violence, la drogue, la criminalité, le  racisme ! Détroit est en faillite ! Des mécènes achètent des quartiers voués à la destruction, “ Breuster Douglas Projects “ sera rasé afin de reconstruire des bâtiments luxueux pour les blancs.

Nous retrouvons des personnages au cours des quatre saisons et sur plusieurs époques, 1935,1960 et 2016. 

Sylvie Frédérick Linglet


 En suivant l’évolution de cette ville sur au moins trois générations, on entre dans l’histoire socio-économique américaine de tout le XXème siècle, de la crise des années 30 à aujourd’hui, en passant par le New-deal : la violence, le racisme, les inégalités, mais aussi l’importance de la musique, les espoirs d’une vie meilleure et l’amour d’une communauté noire pleine d’humanité. C’est un portrait de l’intérieur d’une société pleine de déchirements, de tentations extrêmes mais aussi imprégnée des valeurs portées par le petit peuple noir. Et c’est bien cette peinture plus que l’enrobage narratif proche du polar qui en fait tout l’attrait.

A.V.

 

SATURNE - Sarah CHICHE -

L'histoire commence par la mort de Harry, jeune médecin de 34 ans, père d’une fillette de 15 mois.

C’est la petite-fille de deux familles juives immigrées en Algérie au moment de la colonisation qui va raconter l’histoire de sa famille, et comment elle a vécu tous ces bouleversements.

La fille d’un riche colon, Louise, va être donnée en mariage au médecin Joseph, qui a soigné “discrètement” son père ; ce qui va lui permettre de fonder sa clinique privée basée sur des méthodes modernes et de faire fortune.

Ils ont deux garçons, Armand, le préféré de sa mère, à qui tout réussit, et Harry qui “a le chagrin de n’être que la copie plus terne, moins frisée de l’autre”, et qui se réfugie dans la lecture et l’observation des étoiles la nuit.

En 1956, au moment des événements, les deux frères sont envoyés dans un pensionnat en Normandie pour poursuivre leur scolarité. L’adaptation sera difficile pour Harry. Et, en 62, Joseph et Louise quittent l’Algérie pour la France.

Tous les médecins qui arrivent d’exil étant systématiquement affectés en province, Joseph décide d'acheter une villa pour refaire sa clinique, avec l’aide d’un banquier, et comme à cette époque les grands hôpitaux parisiens barrent la route aux jeunes médecins juifs et même protestants, il en profite pour recruter du personnel qualifié.

Il est bien sûr hors de question que les garçons envisagent une autre carrière que médecin, et si cela convient à l’aîné, le second aurait préféré “soigner les esprits”. Aussi sa vie commence à déraper : boîtes de nuit, casino, etc.…jusqu’à ce qu’il rencontre Eve, une magnifique mannequin, un peu paumée. Ils se marieront en secret quand elle est enceinte, et naîtra la petite fille, la narratrice.

Elle situe le début de l’histoire le jour du décès de son père (d’une leucémie) alors qu’elle a 15 mois ; on l'envoie en Normandie, mais comme on ne lui dira jamais que son père est mort, pour elle il a tout simplement disparu, comme beaucoup d’autres membres de sa famille qui sont là et un jour disparaissent.

Elle grandit tant bien que mal auprès d’une mère mal acceptée par la famille, mais quand sa grand-mère lui dit qu’elle sera médecin “comme son père”, elle fuit ; mène une vie un peu chaotique ; revient et sombre dans la dépression (on y retrouve l’auteur psychanalyste). Elle finira par se lancer dans l’écriture, comme elle l’avait promis un jour “au fantôme de son père”.

Josette Héland

 Encore une histoire d’héritage donc ! Le titre est éloquent, justifié à la fin du roman, en référence à un tableau de Goya « Saturne dévorant ses enfants » C’est toute l’histoire d’une descente aux enfers, d’une dévoration des enfants, son père d’abord puis la fille, narratrice, tous deux immolés sur l’autel des convenances et valeurs bourgeoises. Pour n’avoir pas suivi la voie royale de la médecine, gloire et richesse, les deux descendants seront marginalisés, exclus du clan : « ma jeunesse se mit en orbite autour du cœur mangé de leur jeunesse morte » dit la narratrice tentée par le suicide. Dans un style heurté, nourri de trouvailles poétiques (« une enfance crevée dans mes poches vides »), la narratrice n’épargne pas ses aïeux. Très autobiographique surtout dans la seconde partie, ce livre certes touche le lecteur mais souffre d’une approche trop clinique peut-être sur la fin.

André Vastel

 


L'Ami - Tiffany TAVERNIER

 C'est l'histoire d'un couple, Thierry et Elisabeth, qui se sont  installés dans un coin tranquille à la campagne, et qui se sont liés d'amitié avec les voisins, Guy et Chantal.(qui est dépressive)

 Les hommes font du bricolage ensemble, partagent une même passion pour les insectes, et les femmes se rendent service et échangent des recettes, Ils prennent l'apéro en couple...Jusqu'au jour où une arrestation musclée à 6 h du matin met fin à cette amitié. Guy est accusé des pires monstruosités. 

A partir de là, Thierry, le narrateur, va nous faire vivre toutes les étapes générées par cette découverte : la stupeur, le déni, l'incompréhension, le sentiment de culpabilité. Vont se mêler les souvenirs des bons moments passés ensemble, les conséquences au sein de son couple (sa femme ne veut plus vivre dans cette maison) .la réaction des gens : des médias, des parents.

 Lui qui a du mal à se lier, à se faire des amis, se demande comment il a pu ne rien voir, ne rien soupçonner ; il se sent abominablement trahi. Il va faire le point avec son passé, (le père insatisfait, la mère qui lui tourne le dos, le frère qui quitte la maison) lui, qui se définit comme "mort sous la couverture".

Il retournera à la ferme de son grand-père où il a passé ses plus belles vacances...C'est pour lui une remise en cause totale.

Josette Héland

C’est un roman psychologique très solidement charpenté, tout en crescendo vers cette reconquête identitaire du narrateur. Tout au long de cette révélation criminelle, comme un contrepoids, seul espoir peut-être, résonnent de belles pages sur l’amour, entrevu (avec sa femme), perdu (avec son fils), retrouvé (avec son frère) ou encore avec Claridge, la première fille qu’il a aimée. L’écriture suit le mouvement des émotions, au scalpel parfois, touffue, embrouillée comme les révélations des crimes de son ami, poétique dans ses rêves les plus fous. Un portrait intimiste et convaincant de la solitude humaine.

A.V.



Buveurs de vent - Franck Bouysse

Dans les temps reculés un homme portant un fardeau sur le dos et une femme portant un enfant dans les bras cherchent un lieu de vie. Un crime par noyade impuni et un nom est donné au lieu le "Gour noir" ; on ne sait qui l'a nommé ainsi. Des années plus tard une ville s'est développée autour de la centrale électrique qui appartient à Joyce comme le reste de la ville. Une fratrie de 4 frères et sœur, Marc, le littéraire (qui lit en cachette de son père), Mathieu, amoureux de la nature et son défenseur, Mabel très jolie et indépendante et Luc le frère simplet ; les parents, les Volny : le père à la main lourde pour corriger les enfants, la mère infâme bigote et le grand père qui vit avec eux après avoir eu une jambe arrachée à la Centrale. Les quatre enfants trouvent du réconfort auprès de ce grand-père maternel mal aimé par sa fille. Ils forment une fratrie pleine d'amour et de solidarité mais ils n'ont aucune perspective d'avenir si ce n'est travailler à la Centrale dont le propriétaire se comporte comme un monstre. Ils trouveront sur leur chemin un marin Gobbo qui les aidera à trouver un monde meilleur après quelques luttes et aventures dignes d'un western. Une crapule Snake, finira noyée comme aux temps anciens.

C'est un western rural, haletant, noir, éblouissant, chargé d'espoir pour cette fratrie qui part enfin vers la vie avec une écriture splendide, fluide, intense.

Antoinette Bénéteau

Récit biblique au début, comme une aube de l’humanité, ce roman prend des airs de conte, de fable, de western avec ses bons et ses méchants. Vous ne trouverez aucune date précise ; cette histoire tient autant de l’histoire moderne que du récit ancien ; elle raconte l’éternelle soumission des hommes mais aussi les rêves de liberté et l’espoir de la révolte. C’est une parabole ou plutôt une hyperbole de nos vies avec des trognes qu’on n’oublie pas, une nature omniprésente, une grande force romanesque, le tout très finement cousu. Vous serez emporté.e par cette écriture inventive, colorée, sensuelle comme ce fleuve torrent, le Gour qui emporte ces hommes  dans le cours du temps sans se laisser dompter. Magnifique !

A.V.



Thésée, sa vie nouvelle, Camille de Toledo

 " Qui commet le meurtre d'un homme qui se tue ?" questionne Thésée le narrateur. Un père dépend de son fils, Jérôme (frère du narrateur) , qui vient de se suicider. , Thésée  va essayer de retracer une partie de la généalogie familiale et d'analyser le comportement de ses parents. Il quitte la ville de l'ouest et part vers l'est, en Allemagne pour une vie nouvelle avec ses trois enfants. Il emporte avec lui trois cartons d'archives dont l'un renferme les écrits de son arrière-grand-père, Talmai, qui s'est aussi suicidé. Il pense qu'il va pouvoir échapper à une certaine destinée familiale, mais très vite il semble rattrapé par celle-ci. Il se décide à lire les écrits de son arrière-grand-père et découvre qu'un fils, Oved , est décédé jeune ; ce garçon avait une vivacité intellectuelle développée. Il découvre qu'Oved au moment de mourir vers 11 ans ne connaissait pas les mots de la prière. C'est une traversée de la nuit, plongée dans les secrets, les non-dits et la violence sur plusieurs générations. Ce livre est l'énigme de la psycho-généalogie, et la culpabilité à travers les ascendants d'un abandon d'une culture ancestrale et leur religion. La transmission hante l'avenir, il faut savoir affronter les secrets de famille pour aller de l'avant. C'est un livre exceptionnel, très précis dans son analyse des processus découlant des secrets familiaux. L'écriture est élégante, ciselée. Quel questionnement pour chacun d'entre nous, quelle famille n'a pas de secrets petits ou grands.

Antoinette Bénéteau

Voilà un petit chef-d’œuvre d’architecture littéraire. Construit en spirales temporelles autour de la synchronie des morts des ancêtres, comme le dédale dans lequel avance à l’aveugle Thésée, ce roman déroule trois narrations qui se recoupent dans des temps différents pour essayer de répondre à cette question centrale qui traverse le livre : qui porte la responsabilité des morts, ici en l’occurrence et plus spécifiquement des morts juives qui traversent ce XXème siècle ? D’où vient la malédiction de « la lignée des hommes qui meurent »? Camille de Tolédo revient sur l’héritage de la Schoa dans une langue qui n’est pas sans rappeler les lamentations des chœurs tragiques ou les prières ancestrales : une litanie sans fin qui questionne, in cute, nos consciences…

Un livre particulièrement travaillé, à la forme symbolique, très littéraire.

A.V.


Le pont de Bezons, Jean Rolin

 C’est un livre de promenades, de découvertes, comme on en faisait tant au XIXème siècle, mais le genre se fait rare de nos jours. Jean Rolin le renouvelle avec bonheur en construisant un récit de promenades à pied, annotées, renouvelées, au long de plusieurs mois en 2019 sur l’ouest de Paris, d’un côté et l’autre de La Seine. A partir d’’observations scrupuleuses de la nature, des paysages et monuments urbains, de la faune et la flore et quelques traces d’humanité, l’écrivain se fait ethnologue, historien à certains moments, paysagiste même, voire peintre. Il dresse ainsi, de chacune de ses sorties, des tableaux enrichies de descriptions, tantôt anecdotiques ou en quête d’un passé. L’auteur nous fait vivre toute une région de la Seine qui porte les traces d’un passé très riche (industriel, commercial, artistique…), les marques de transformation économiques et humaines. Bref tout un coin célèbre mais oublié de la France banlieusarde renait, sous une plume changeante, multiple, parfois guillerette ou amusée, tendre mais aussi plus tendue, toujours nourrie par la curiosité.

Et le style sert à merveille le dessein : ample, proustien même parfois, nourrie d’ajouts et de notes comme tout spécialiste soucieux de l’exactitude de ses propos, mais aussi plein d’humour dans le ton afin de décrire ces coins oubliés de France avec distance. De Bezons à Bezons, oui, c’est bien tout un voyage sous et sur les ponts auquel nous convie l’auteur du traquet kurde, observateur ici d’une autre faune, une humanité marginale et bien cachée. 

A.V.


Comédies françaises, Éric Reinhardt

 Dès le début du roman, Dimitri Marguerite, promis à un grand avenir, journaliste reporter à l’AFP, décède d’un accident de voiture : première comédie tragique de ce livre nourri d’humour et de dérision. « Comédies françaises » titre l’auteur, justement au pluriel. On pense au théâtre bien-sûr dont le héros est un fervent adepte, mais il s’agit d’autres scènes ici, celles de la société. Comédies du quotidien, celles de ses parents mal mariés, mais aussi des bourgeois dont l’auteur dresse plusieurs portraits satiriques ; comédies de l’amour qui traversent le roman : les amours imaginaires de Dimitri qui tombe amoureux au premier regard (« celui qui aime, aime au premier regard »). Le héros, à trois reprises, passe inaperçu d’une belle inconnue, mais il connaît aussi des amours platoniques ou tarifées qui tournent au fiasco. Mais le roman offre bien d’autres comédies plus dramatiques, celles des bévues de l’art ou de l’industrie. Ainsi la rencontre entre Max Ernst et Pollock nous montre un peintre surréaliste bien imbu de son « jeté de couleurs » en face de celui qui deviendra la figure de proue de la peinture expressionniste américaine.

Enfin le récit de l’arrêt de la recherche de Louis Pouzin sur les connexions informatiques par Valérie Giscard d’Estaing sous l’emprise d’Ambroise Roux, qui coûtera à la France la découverte d’Internet, constitue le point suprême de ces comédies très grinçantes.

L’auteur nous embarque ainsi, de comédies personnelles en comédies nationales, dans un récit acide, toujours entre ironie et sarcasmes et malgré des longueurs certes et des digressions, il garde son point de mire : un véritable essai critique de la France et de ses héros, petits ou grands. Comédies que tout cela !

A.V.


Un jour ce sera vide, Hugo Lindenberg

 

Comme chacun le sait maintenant (ce que nous ne savions pas au moment de notre échange, la veille de la tenue du jury), Hugo Lindenberg a remporté le prix, apparemment avec une majorité de voix dès le premier tour de scrutin. Il faut donc revenir avec attention sur ce « petit » livre, premier roman court, apparemment simple dans la composition, presque transparent de limpidité dans l’écriture qui s’impose ainsi dans la cour des grands qui ne manquaient pas dans la collection des nominés. Et si c’était justement cette simplicité, cette évidence même dans la rencontre de ces deux enfants qui en fait toute la saveur ?

Hugo Lindesberg  nous raconte l’histoire d’un jeune garçon qui passe ses vacances sur la côte normande où il rencontre un autre garçon, Baptiste. Une amitié nait entre ces deux enfants issus de milieux différents. Le narrateur, juif, vit avec sa grand-mère immigrée et une horrible tante. Baptiste vit dans une vraie famille, il a tout et une maman très belle.

L’auteur se sert de cette différence pour nous plonger dans le monde de l’enfance chargé d’aventures, d’émotions dont la honte, très présente, la solitude, la recherche d’identité, la découverte de l’autre…

La lecture est agréable, c’est plein de charme, d’humour, on peut y retrouver sa propre enfance ….

Danielle Croisard

Hugo Lindenberg parvient, au travers de courtes saynètes vécues le plus souvent à hauteur d’enfant, encore imprégnées des odeurs iodées de la Normandie côtière, à transcrire un portrait subtil de l’enfance, ciselé par une langue qui nous restitue les sensations originelles. Et nous suivons avec passion et attachement le parcours de ce gamin, écartelé entre « l’odeur de l’ennui » et « la force de la différence », un parcours dont se délectera tout lecteur qui n’a pas tout oublié de son enfance.

A.V.


Commission livres de l’Université de Pays : Danielle Croisard & André Vastel

Le 10 juin 2021

4 commentaires:

  1. Si l'on en croît les commentaires, la cuvée était bonne. Vous êtes tous conquis et par l'écriture et par le thème raconté.


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  2. Je viens de finir de lire le prix du livre Inter 2021 ‘Un jour ce sera vide’, l’enfance et les adultes vues par un jeune garçon sont très réalistes. Le contraste entre les deux vies, l’enfant choyé et l’enfant désœuvré et en mal d’amour est très réaliste. Ce roman est poignant et attachant à la fois.
    Etiennette

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  3. Je viens de finir de lire le prix du livre Inter 2021 ‘Un jour ce sera vide’, l’enfance et les adultes vues par un jeune garçon sont très réalistes. Le contraste entre les deux vies, l’enfant choyé et l’enfant désœuvré et en mal d’amour est très réaliste. Ce roman est poignant et attachant à la fois.
    ETIENNETTE

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  4. Je viens de finir de lire le prix du livre Inter 2021 ‘Un jour ce sera vide’, l’enfance et les adultes vues par un jeune garçon sont très réalistes. Le contraste entre les deux vies, l’enfant choyé et l’enfant désœuvré et en mal d’amour est très réaliste. Ce roman est poignant et attachant à la fois.
    Etiennette

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